Jeanne Thiriet-Olivieri
Bien qu’une partie de son œuvre ait été présentée aux Rencontres internationales d’Arles en 2000, l’exposition du Jeu de Paume rendait vraiment hommage à cette photographe de la première moitié du XXe siècle. En 400 images, la romanesque Tina Modotti y déployait son engagement artistique auprès des plus humbles.
Invisible jusque-là, elle vient rejoindre la cohorte des artistes qui méritent qu’on s’intéresse à leur travail.
Courageuse petite pionnière
Née à la fin du XIXe siècle, à Udine capitale du Frioul, dans une famille pauvre de cette région du nord-est de l’Italie, proche de l’Autriche, la petite-fille va rapidement travailler. Dès 11 ans, elle se fait embaucher dans une usine textile de soie. Comme beaucoup d’autre enfants dont la finesse des doigts était appréciée pour ce tissage délicat.
Il faut dire que son père inventeur génial mais malheureux est parti tenter sa chance, comme beaucoup d’Européens sans travail, en Amérique, avec sa fille aînée, laissant son épouse et les plus jeunes à la charge de… Tina.
L’adolescente est jolie, vive et ingénieuse et se débrouillera, jusqu’à ce que ses frères prennent la suite, pour faire vivre la famille.
Auprès de son oncle, elle s’initiera même à la photographie.
L’Amérique, terre de tous les possibles
A 17 ans, en 1912, elle embarque seule pour New York. Elle se débrouille ensuite, pour rejoindre son père à San Francisco. Même si leur vie est un peu plus aisée, Joseph a enfin une invention qui connait le succès : la machine à raviolis, il faut qu’elle travaille.
D’abord mannequin cabine, elle épouse rapidement un artiste charmant, mélancolique et velléitaire : Robo. Il va lui ouvrir les portes de la communauté artistique, libre et joyeuse de San Francisco, de ses nuit excentriques, parfois survoltées, où la beauté de Tina va bientôt l’embarquer dans l’aventure du cinéma muet.
Deux ou trois navets plus tard, où elle incarne à chaque fois, l’immigrée voleuse de mari, elle rencontre son grand amour Edward Weston, photographe renommé, dont elle sera le modèle et auprès duquel elle s’initiera réellement à l’art de la photographie.
Rencontre amoureuse certes mais coup de foudre artistique surtout.
Pourtant Tina veut rester libre et s’il l’initie au formalisme symbolique, elle se charge de le faire connaître au Mexique post révolutionnaire.
A Mexico, les artistes engagés pullulent, Diego Riveira, Frida Khalo pour ne citer qu’eux.
A ce moment-là et à cet endroit-là, Tina, élevée par un père militant communiste, trouve son sujet : le peuple. Il s’agit pour elle de renseigner la vie des ouvriers agricoles mais aussi d’en dégager l’esthétique et les valeurs.
Un engagement artistique dans la ligne du constructivisme
Sa conscience politique trouve un sens et une action dans son art. Comme en témoigne ses photos. Séparée de Weston, qui est retourné vivre auprès de sa femme et ses enfants, son engagement, la conduira à Cuba, à Moscou, sans y trouver sa place, ni son utilité.
Après la guerre d’Espagne, où elle s’est engagée, elle reviendra au Mexique et y mourra d’une crise cardiaque dans un taxi. Sa mort ressemble au roman de sa vie. Sur sa tombe à Mexico restent ces quelques mots de Pablo Neruda Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non tu ne dors pas.
Mais ce serait dommage de réduire son travail à du photo journalisme militant. Elle n’est pas que cela, ses photos témoignent d’un style, d’un travail, d’un cadrage qui n’a rien de fortuit mais l’accomplit en véritable artiste.
Comme beaucoup d’autres artistes, l’histoire l’a longtemps laissée dans l’ombre du génie d’Edward Weston. Les femmes y étant souvent regardés comme la deuxième roue d’un tandem artistique. Cette exposition a rendu justice à l’artiste qu’elle était.
Mieux la connaître
- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-compagnie-des-oeuvres/tina-modotti-photographe-et-militante-1699877
- https://www.radiofrance.fr/franceculture/tina-modotti-et-edward-weston-l-histoire-d-une-rencontre-photographique-1454258
- https://www.youtube.com/watch?v=gGxhEdTcMN8&ab_channel=FranceCulture