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Pépites de l’été 2021 (1) Le Nord du monde de Nathalie YOT

L’été c’est aussi l’occasion de lire quelques bijoux offerts par plus éclairé que soi… De découvrir des voix apparues le temps d’une rentrée littéraire. 

C’est le cas de Nathalie Yot. Artiste pluridisciplinaire, très reconnue dans le champs de la poésie, cette performeuse, collabore à plusieurs revues et a déjà publié plusieurs recueils. 

Le Nord du monde, son premier roman, publié aux éditions La Contre Allée, paru à La rentrée 2018, se le lit comme on court… à perdre haleine. 

Une écriture hypnotisante, comme son duo électro-acoustique, Natyocassan, et notamment Le ciment

C’est important parce qu’on comprend que l’écriture fait corps et voix. 

Le Nord du monde, c’est le roman errant d’une itinérance. Celle d’une femme abandonnée pour qui le désir devient pas. Elle marche.

Fragilisée par une séparation amoureuse, la narratrice et personnage principal fuit un homme, son homme-chien, pour ne plus sentir la douleur, elle marche encore. 

Le plus loin possible vers le Nord, Lille, l’Allemagne, les Pays-Bas, et au bout, les fjords de Norvège.

Elle lutte contre les éléments, le froid, la fatigue, la douleur, la faim, pour se sentir plus vivante.

« L’air on le prend, on le prend bien. Quand il y a beaucoup de vent, on se laisse ébouriffer, chahuter, ça nous est égal au contraire, on se dit que la puissance du vent nous aide pour combattre l’histoire de ne plus vouloir vivre.»

Les hommes, aussi, ça serre et ça sert… à se sentir vivante! Alors, elle enchaîne les rencontres et les pays. Jusqu’à la transgression ultime, doublée de l’amour définitif, enfin rencontré.

Mais qu’on ne racontera pas!

C’est un roman qui gratte, qui dit des choses qu’on ne veut pas entendre, qui pousse à la faute. Qui met en péril, sur le fil ténu de la moralité. Bien sûr qu’il dérange… Surtout ce que nous avions eu bien du mal à bien ranger. 

C’est un roman qui vacille, comme cette partie de notre humanité sans limite.

C’est un roman qui flirte avec thanatos parce que parfois c’est le seul moyen d’être certain qu’on est vivant, de se pincer moralement.

Nathalie Yot ne cède rien à la douceur. Comme un scalpel, ou les glaçons de l’hiver, elle nous réveille rudement. 

Magnifique !!

Le Nord du monde, Nathalie Yot, La Contre Allée

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L’épopée mélancolique, d’Haydée Santamaria, pasionaria cubaine.

Les révolutionnaires ne sont pas des poètes mais des soldats ? Pas si sûr ! Il faut avoir une sacrée foi en un idéal, en l’impossible, pour devenir guérillera, se battre contre l’injustice, la pauvreté et l’analphabétisme à Cuba au milieu du XXe siècle. Une bonne dose de courage, de renoncement et d’oubli de soi aussi…

Cette solide conscience politique amènera la toute jeune Haydée Santamaria à tenir le fusil, contre l’armée du putschiste Batista.

Une conscience politique pleine d’inconscience

C’est cela que raconte avec justesse et onirisme, le roman d’Amina Damerdji, la genèse d’un engagement politique. Ce moment où l’idéal devient certitude… Où le doute n’a plus sa place… Où on ne sait pas vraiment où on va!

Confrontée très tôt à la dureté de la vie des paysans, cueilleurs de cannes-à-sucre, dans la région où elle a grandi, l’Encrucijada, Haydée Santamaria sent qu’elle ne pourra se satisfaire de la vie banale que lui propose sa mère : bon mariage, enfants, résignation.

« Ce que je préférais, c’était la littérature et la littérature comme le sifflait ma mère, c’était tout à fait inoffensif », lui fait dire, non sans humour, l’autrice. La littérature aura été certainement le ferment le plus solide de l’engagement de cette autodidacte .

La jeune idéaliste, choisit de rejoindre le mouvement des jeunes marxistes, bientôt fédéré autour de Fidel Castro, alors jeune avocat, à La Havane, jusqu’à devenir une héroïne, une « mère » de la révolution cubaine.

 

Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça.

« Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr, nous voulions du changement. Mais nous n’avions qu’une silhouette vague dans la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C’est seulement après, bien après, que pour moi en tout cas, la silhouette s’est précisée. »

Comme un chant déçu, la mélopée d’une femme mûre

C’est le roman épique d’une jeunesse sans pareil, que propose Amina Damerdji, [interview en ligne] , bien loin d’une imagerie hagiographique. Oscillant entre l’illusion et la désillusion de son héroïne, , montre l’ambivalent chemin des révolutions, comme celui des grandes avancées démocratiques, ni tout blanc ni tout noir, mais le plus souvent teinté d’un gris tragique et amer.

Le récit démarre le 28 juillet 1980, à La Havane, la nuit précédant son suicide, Haydée Santamaria, 57 ans, déroule ses premières années militantes, dans une mélopée mélancolique. Seule, en proie à une profonde tristesse, elle lègue l’histoire de son engagement, à ces Cubains qui tentent de fuir le régime castriste par la mer, ces naufragés de la révolution au soleil, pour qui le régime est devenu une dictature : « 1980 est l’année de l’exode de Mariel qui commence avec ces 10 000 Cubains qui demandent l’asile à l’ambassade du Pérou… », éclaire l’autrice, que nous avons interviewé au cœur de l’été.

Entre le 5 avril et le 31 octobre 1980, 125 000 Cubains sont expulsés, considérés comme contrerévolutionnaires. « Je me suis toujours dit que pour elle, cela avait dû être terrible… Avoir passé sa vie à construire un Etat que les gens se sont mis à fuir … Cela ne doit pas être étranger à son suicide. », confie encore ’écrivaine. 

¡Hasta la victoria siempre!

A ceux-là qui partent, abandonnant l’île pour un monde qu’ils pensent meilleur, Haydée Santamaria rappelle le combat de sa jeunesse et la perte tragique d’être chers, torturés et tués par l’armée de Batista. Morts pour leurs idées.

« Mais tout cela, vous qui partez, vous qui ramez dans la nuit, vous a été enseigné à l’école…» leur psalmodie-t-elle.

Ce que ne dit pas le livre, c’est qu’Haydée Santamaria tombera dans les oubliettes de l’histoire de Cuba, ignorée voire reniée par ses compagnons d’armes. Il ne dit pas non plus, que Castro ne lui rendra pas hommage, le suicide étant jugé contrerévolutionnaire par les marxistes.

Amina Damerdji, rend justice ici à cette combattante courageuse et engagée, à toutes ces femmes qui n’ont pas eu peur de crier un jour « ¡No pasaran ! », comme la basque Dolorès Ibarurri ou bien « ¡Hasta la victoria siempre !» comme tant d’autres à Cuba. Mais qui se souvient d’elles ? Qu’elle en soit donc remerciée… Souvent ramenée à des rôles secondaires dans ces mouvement militaro-machistes, certaines ont pourtant bravé les tabous troquant la louche contre le fusil. Ainsi vécut Haydée Santamaria.

Un roman épique révolutionnaire

Amina Damerdji, [interview en ligne], jeune femme d’origine algérienne, spécialiste de la poésie cubaine et venue de la performance poétique, a baigné dans la littérature hispanique et latino-américaine et son roman est tissé dans ce savoir-faire particulier.

Le choix du genre, par exemple, le roman épique et révolutionnaire, à la Fuentes ou Vargas LLosa, mais aussi le sens d’un tragique coutumier, où mort et vie se côtoient comme deux amies, qui nous ramène à l’hispanique Garcia Lorca ou la sensualité gourmande du brésilien Jorge Amado, « Certains dimanches, j’avais faim et je petit-déjeunais au lit. J’emportais sur un plateau, la cafetière, un morceau de pain, un bout de beurre et du miel. Les sablés de goyave, je les réservais toujours pour le début de l’émission. Dès que j’entendais la musique d’annonce, je croquais à pleine dents dans le biscuit rond et laissais couler la confiture entre mes dents. »

Pourtant, pour échapper à l’histoire officielle, Amina Damerdji, a su conserver sa liberté de romancière et de poète, en écoutant le cri intérieur d’Haydée Santamaria, l’accompagnant dans ses dernières heures , enivrée de vodka, cadeau des alliés russes, peu aimés, et le récit fait écho à la fin tragique de certaines actrices hollywoodiennes, seule et désespérée.

La tessiture littéraire de « Laissez-moi vous rejoindre » nous ayant autant convaincue que le récit, on attend le deuxième roman avec attention.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

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« Je voulais raconter quelque chose du sacrifice politique, de l’idéalisme, et de la désillusion »

Cet été, Amina Damerdji, primo-romancière, a bien voulu nous éclairer sur son travail pour faire revivre Haydée Santamaria, pasionaria cubaine, héroïne de son livre, « Laissez-moi vous rejoindre », publié chez Gallimard. Tout a commencé à Cuba, où elle a résidé quelques mois, pour faire du terrain pour sa thèse sur la poésie cubaine.

Comment est né l’idée de ce roman biographique ?

J’ai vécu à Cuba plusieurs mois… Ce qui est très particulier, pour nous, en arrivant, c’est qu’il n’y a pas de publicités sur les murs mais des affiches, des portraits des grands hommes de la révolution : Fidel, Camilo Cienfuegos, Raul, le frère de Fidel, tous représentés de manière virile, avec leur barbe. Alors, lorsque j’ai entendu parler d’Haydée Santamaria, elle a tout de suite attiré ma curiosité parce que c’est une femme. Souvent on parlait des femmes de la révolution comme femme de… Celle de Fidel qui s’était occupée du programme, celle de Raul en charge du droit des femmes. Pourtant Haydée jouissait d’une vraie notoriété et reconnaissance, en tant que femme d’état sur l’île !  Je travaillais beaucoup à la Casa de Las Americas qui est une véritable institution culturelle à La Havane, une bâtisse blanche, très jolie qui se détache dans le paysage de la ville, située sur le Malecon, (la promenade de front de mer) et où il y a un fond de bibliothèque plus important qu’ailleurs. En discutant avec les gens présents, un peu au gré des coupures d’électricité, j’ai appris que c’est elle, totale autodidacte, qui avait créé ce lieu culturel. Elle y a fait venir de grands écrivains sud-américains, Garcia Marquez, Cortazar et des Français aussi Sartre et Beauvoir…

Il y a une sensualité très forte et notamment gourmande dans votre récit , qui vous inscrivit dans la lignée des auteurs sud-américains comme Jorge Amado, pour ne citer que lui, qui émaillait ses romans de plats locaux ?

Oui la dimension sensuelle m’a clairement intéressée. D’abord parce que cela fait partie d’un patrimoine littéraire effectivement. Il y a des choses que j’ai aimé dans la littérature cubaine ou sud-américaine que j’avais envie de retrouver par l’écriture, des ambiances (la chaleur, la moiteur, des saveurs, des sons) mais aussi parce que je ne voulais pas faire une hagiographie politique mais m’intéresser à cette femme dans sa chair.

Et le choix de cette double temporalité, sa jeunesse et la genèse de son engagement, jusqu’à la défaite de la Moncada, et les quelques heures avant son suicide  presque 40 ans plus tard?

J’ai été marqué par le livre d’un auteur cubain, Leonardo Padura, « L’homme qui aimait les chiens » et qui raconte la vie de Ramon Mercader, l’assassin de Trotski, exilé à Cuba. Il peint notamment cette forme très sacrificielle d’engagement, in fine assez déshumanisante. En développant la vision de la jeune Haydée et en contrepoint celle de l’Haydée plus mûre (57 ans) qui s’adresse à ces personnes qui fuient Cuba, je voulais mettre en regard deux moments de bascule de la vie de cette femme et raconter quelque chose du sacrifice politique et de l’idéalisme, de la désillusion. 

Moi j’ai lu entre vos lignes un romantisme de la révolution…mais pas bêta !

Pour moi Haydée, au moment de son suicide, est justement cette femme qui a commencé sa vie, remplie d’idéaux romantiques, en quête de liberté pour transformer cette société cubaine. Forte de ses croyances puissantes, elle est emblématique d’autres jeunesses politiques, d’un type d’engagement qui s’est transformé aujourd’hui, n’emprunte plus les mêmes voies d’action.

Le fait qu’elle adresse son récit à ceux qui fuient,n’est-ce pas une façon de sortir du fantasme de la justice et justesse révolutionnaire?

Oui tout à fait pour moi, il y a vraiment l’élan de départ et la suite quelques années plus tard. Et d’ailleurs cela continue…

Tous ce groupe d’amis et frères d’armes, que vous décrivez, sont très vivants, comment avez-vous fait vos recherches ?

Je me suis documentée dans des livres d’histoire, sur place, à Cuba, puis de retour en Europe. J’ai aussi travaillé sur des archives numérisées, des documentaires et des captations trouvées sur internet.

Et vous avez pu recueillir des témoignages ?

J’ai aussi pu discuter avec plusieurs personnes qui l’avaient connue et beaucoup aimée en général.

Vous pouvez nous parler de ces poètes, sujets de votre thèse ?

Elle a porté sur un groupe de poètes qui sont passés de l’engagement officiel à la critique, et qui ont, pour la plupart, subi des mesures punitives, comme Luis Rogelio Nogueras, l’un des plus célèbres sur l’île, ou qui se sont exilés comme Raúl Rivero, le poète du groupe le plus connu à l’étranger, ou le romancier Jesús Díaz.

C’est donc votre premier roman, vous y pensiez depuis longtemps ?

L’idée a germé lors de mon dernier séjour à Cuba, en 2015. À ce moment-là, j’écrivais de la poésie. J’ai co-fondé une revue en 2011, qui s’appelle La Seiche, publié Tambour Machine en 2015 chez Plaine-Page et participé à plusieurs festivals de poésie orale. Je m’intéressais beaucoup à la poésie-action et à la performance. Quand j’ai commencé à m’intéresser à Haydée Santamaría à Cuba, je n’avais pas au départ le projet d’écrire un roman sur elle mais plus je me documentais et essayais de l’atteindre, plus elle s’éloignait de moi. La répétition des mêmes anecdotes, avec les mêmes mots, créait un voile de glace et finissait par figer le personnage au lieu de le rendre vivant. J’ai voulu, par la fiction, redonner vie à cette femme. Et à travers elle, raconter une histoire, celle d’un pays, d’un type d’engagement, mais aussi, celle de beaucoup d’autres femmes, d’un type de féminité assez peu représenté par la littérature..

Comment passe-t-on de la poésie au roman?

Au départ, le premier manuscrit écrit assez spontanément, était encore très poétique (cinq longues lettres qui ressemblaient plus à cinq longs poèmes en prose qu’à un récit romanesque !).Je l’avais envoyé à plusieurs maisons d’édition et reçu, au milieu de lettres type de refus, deux lettres plutôt encourageantes, avec des conseils de réécriture dont une des éditions Christian Bourgois. Mais ces conseils sont restés malgré tout un peu obscurs pour moi et puis ensuite, j’ai dû m’adonner à l’écriture de ma thèse et mettre de côté le projet. C’est un atelier Gallimard avec l’écrivain Hédi Kaddour, romancier venu également de la poésie, qui a agi comme un déclic pour moi. J’ai plongé dans un autre univers d’écriture, l’écriture romanesque avec ses personnages, sa sensorialité, sa narrativité, et ai commencé à me passionner pour cela. J’ai tout réécrit, de A à Z, et complètement différemment.

Et vous votre histoire Amina Damerdji ?

Je suis née aux États-Unis et j’ai ensuite grandi à Alger jusqu’en 1994. Ma famille et moi avons quitté l’Algérie pendant la Décennie noire (la guerre civile algérienne) d’abord pour la Bourgogne, où nous avons rejoint ma grand-mère qui en est originaire et s’était exilée avant nous, puis à Paris où j’ai fait le reste de ma scolarité et mes études. J’ai aussi vécu deux ans en Espagne, à Madrid.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

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« Fille » une histoire forte d’éducation patriarcale et de dictature du genre.

C’est l’histoire d’une femme mais finalement de nous toutesCe roman de Camille Laurens déploie, avec brio, la célèbre citation de Simone de Beauvoir, dans le « Deuxième Sexe » : « On ne naît pas femme : on le devient ».  Et cela arrive bien plus tôt qu’on ne le pense… Dès la proclamation de notre sexe à la naissance !  En nommant, on crée du réel… 

Le récit de la vie de Laurence (Laurens ?) débute à la fin des années 50, quand l’échographie balbutiait encore. Le « C’est une fille !» de la sage-femme, ouvrait alors la voie aux déterminants genrés.  Vous savez bien, ces partis-pris inconscients, ces comportements acquis et ces résidus d’imaginaires collectifs, étroitement liés au sexe du bébé.

Au commencement il y eût le père

Ils projettent instantanément le petit garçon dans un avenir triomphant et la petite fille dans le sien dépendant. Et souvent dans le non-être, le naître pas. L’avenir de Laurence s’ébauche donc, sur la déception d’un père, rêvant de fils-miroir et de circuits électrique.  S’en suit une vie de fille, femme, amante, mère entre résistance et compromis, pliants sous le poids d’une éducation genrée difficile à contrer.

La force de ce roman est de pourtant rester un roman. Ce n’est pas un essai mais bien l’histoire d’une fille emportée par un destin qui la dépasse et que ni elle ni sa mère ne contrôle.

Et puis un jour, Laurence à une fille qui n’acceptera pas de baisser la tête et qui veut jouer aux billes et au foot parce que la poupée et la dînette l’ennuie. Une jeune fille d’aujourd’hui qui veut être libre de ses choix et de sa vie. Plantant là sa mère et son histoire. 

Un vrai roman de « désapprentissage« 

C’est fort car ce n’est jamais de la théorie, Camille Laurens met bout à bout la foultitude de petits détails qui coupent les ailes aux petites filles. Et peu à peu son récit devient universel et ravive nos anecdotes personnelles. C’est ainsi que son histoire devient la nôtre. Un terrain favorable à ce qu’on nomme joliment la sororité et donc à la solidarité. Elle dénoue les petites complaisances, parfois complicité, à accepter l’ordre d’un monde où les filles ne pourrait être que victimes. Démonter les mécanisme de l’éducation patriarcale c’est le premier pas vers la liberté. Ce livre nous y invite.

L’évidence d’une prise de conscience

On retrouve dans le roman de Camille Laurens, la force des Marie Cardinal ou Benoite Groult qui à partir d’une vie de femme -souvent la leur- provoquaient une évidence, une prise de conscience de notre propre condition féminine, comme on disait à l’époque. Ces livres étaient alors les meilleurs moyens d’acquérir une conscience féministe. Et bien cela continue !

Décidément cette rentrée est pleine de bonne surprise ! Il faut lire « Fille » car on y on trouve une parcelle de nous-mêmes qui aide à grandir et à être fière de notre « condition ». C’est un beau roman…

Fille, Camille Laurens, Gallimard, 19,50

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Sankhara : Confinage et fracas du monde

Cela fait quelques mois que je veux vous parler de ce livre et je reporte, je reporte… Pourquoi ? Je ne sais pas… La vie qui passe à 100km/h sans doute. 

Rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui ! Maintenant le temps prend son temps, on l’entendrait presque s’écouler dans le sablier. Sauf si on est soignant, agriculteur, service public ou alimentaire -merci à eux-  où là on court après le temps avec une forte envie de le faire reculer pour mieux s’y préparer.

Finalement, c’est le bon moment pour vous parler de ce livre. Il retrace si bien la période que nous vivons. 

Hélène et Sébastien, jeunes parents de petites jumelles, ont pris du champ l’un vis-à-vis de l’autre. Sébastien, journaliste, travaille comme un forcené au desk actu de l’AFP et Hélène s’est retrouvée, sans l’avoir voulu vraiment, sans s’y être opposée non plus, gardienne du foyer. Heureusement elle écrit : du non publié, du secret, du non montrable. Petit à petit, dans leur histoire, elle devient celle qui ne bosse pas, celle qui ne fait rien, l’invisible du couple.

Et puis un jour ça pète!

Hélène fait son sac et part dix jours, seule, sans dire où et en spécifiant qu’elle est injoignable. Elle rejoint une retraite Vipassana, de la méditation et du strict silence dans une campagne française. Elle plonge dans le grand silence à la recherche d’elle-même, parfois en luttant parfois en glissant. Certain pourrait penser que c’est un séjour pour bobo new-age, il s’agit plutôt d’un combat, d’un bras de fer avec soi, d’un strip-tease de l’âme, d’un échange d’une armure extérieure pour une autre intérieure que l’on touche de temps à autre, au fil de l’expérience. Hors du fracas du monde.

Sébastien, de son côté, se débat, il ne comprend rien. Persuadé qu’Hélène le trompe, il fait n’importe quoi. Invente les scenarii les plus farfelus. Et puis, le 11 septembre, le premier drame du XXIe siècle explose…

Finalement les deux protagonistes incarnent les deux parties de nous-mêmes, celle qui se met en retrait, forcée ou non, pour retrouver quelque chose d’elle-même qui se serait perdu à l’extérieur. Et l’autre est planté dans le présent d’un monde qui s’écroule violemment et qui est pourtant le nôtre. Le seul qu’on est à vivre finalement.

Le roman est construit sur ce double miroir, celui que nous tend Hélène sur l’urgence à ralentir, se dépouiller, trouver ses fondamentaux et celui que nous tend Sébastien, les yeux grands ouverts sur un monde qui s’écroule.

Frédérique Deghelt est une conteuse en finesse qui ne cesse de nous poser de façon romanesque les questions bien réelles de notre époque. La plus belle puisque c’est la nôtre et que c’est la seule que nous ayons à vivre.

Sankhara de Fréderique Deghelt chez Actes Sud paru le 8 janvier

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Sagrada Familia et Pater Monster

Hors d’ici, Florence Delaporte, Le Cherche-Midi.

Qu’il est difficile de s’extraire de sa famille même quand elle ne vous donne rien… C’est toute l’histoire de Jeanne, une toute jeune-femme de 20 ans qui va devoir choisir entre rester en France ou vivre aux Etats-Unis, la famille ou le mariage, les études ou la figuration conjugale… Difficile de savoir qui on est quand on a eu, comme seule figure paternelle, une brute dotée d’une voix qui fait peur. Un père écrasant, violent, aux humeurs incontrôlables,  portées comme une blessure de guerre. Une mère qui ne dit rien, ne voit rien et consent, en ajoutant « Mais votre père vous aime » … Alors Jeanne hurle de l’intérieur, se défend envers et contre tous, agie par une unique envie : partir, se tirer, foutre le camp, avant que le temps ne l’engloutisse. Héroïque Jeanne qui passe au travers du déni familial, du mensonge paternel, des regrets maternels… Florence Delaporte suit mot à mot sa petite rebelle, dans une langue qui lui ressemble : forte et directe, fière et pudique. Ce roman intimiste remarquable de la rentrée 2020, est aussi une chronique de la vie à Rouen, dans les années 70 peut-être, ce n’est pas précisé. Jeanne, jeune héroïne du XXe siècle, y incarne à elle seule le combat contre le patriarcat, la violence sourde, subtile, perverse, tapie au sein de la famille bourgeoise, celle qui empêche de grandir.   Au travers elle, ce sont aussi les balbutiements du féminisme qui traversent ce roman, une prise de conscience solitaire avant même d’être un combat solidaire.

Bio express
Naissance : Rouen, 1959
Profession : traductrice et écrivaine.

Etudes :
États-Unis (l’Université de Wayne State, 1979-1980)

Allemagne (l’Université de Fribourg-en-Brisgau, 1980-1981) 

France (master lettres modernes, l’Université de Poitiers, 1990-1991).

Premiers livres : « Sœur Sourire. Brûlée aux feux de la rampe », en 1996. 

« Je n’ai pas de château », son premier roman, obtient le Prix Wepler 1998.