Catégories
Littérature française

Peupler la colline, entre conte et cantine

Avec son troisième roman Peupler la colline, Cécilia Castelli, confirme qu’elle rejoint les plus jolies voix de la rentrée. Petite soeur en littérature de Monica Sabolo ou de Lola Lafon, on n’a pas fini d’entendre parler d’elle.

Cécilia Castelli, la voix de l’enfance. Pour les plus chanceux d’entre nous, qui avaient pu le lire, ce talent particulier était déjà bien présent dans son premier roman Mollusque. Cette fois, il est au centre du récit. L’imaginaire et le rêve peuple le récit. Pas de limite, de borne, de frontière. Il suffit de savoir nager dans l’insensé… Talent présent aussi dans la description à hauteur de petit homme des milles tracasseries enfantines, prémices d’un monde des grands ou la différence mène à l’indifférence. C’est donc cela déjà qui vous embarque, une bouffée de tendresse pour un petit bout d’homme, tout droit sorti de La guerre des boutons ou de Poil de carotte.

Citer n’est pas tromper ni spoiler:

« Romain observait la crotte de nez collée au bout de son index. Il ne comprenait pas d’où venait le plaisir qu’il ressentait ni pour quelle raison il était fier d’avoir recueilli cette chose singulière du fond de sa narine, mais il l’admirait, elle était assez grosse, alors il se mit à la rouler entre ses doigts. »

Peupler la Colline p. 9

2° Le fantastique toujours au bout de la plume. La nature n’est jamais un simple décor chez l’autrice mais le lieu de la magie, de l’enchantement, la troisième dimension. La marmite à création pour occuper un vide, combler un départ, ressusciter une disparition. La dernière bouée de sauvetage des passages obligatoires à l’âge supérieur. Tout peut y arriver à qui sait observer, y compris le déploiement tout particulier en sensualité et sensibilité de la poésie de Cécilia Castelli. Pas de mensonge chez elle, il n’ y a pas de mère nature si ce n’est pour y accueillir de monstrueuses engeances.

Les histoires à la mort-moineu d’une cours de récré peuvent très bien transformer le bout de ficelle en marabout, en un rien de temps. La colline de Crussol être peuplée pour qui sait la regarder. mais nous ne sommes jamais chez Walt Disney.

3°Dans la lignée de la littérature érudite, que l’on voit poindre ici ou là, c’est l’occasion pour l’écrivaine de s’appuyer sur ce qui est sans doute son panthéon littéraire, la poésie. L ‘ancienne prof de Français devient passeuse, citant l’oulipien Jacques Roubaud, le chantre de la liberté Eluard ou bien Fior Di Tomba, une chanson d’amour populaire italienne. J’aime quand les textes cachent d’autres textes à l’infini comme de petites matriochkas…

Mon conseil ? Se l’offrir sans tarder et à lire les yeux bien ouverts.

Peupler la colline- Cécilia Castelli-Editions Le Passage

Catégories
Littérature française

Pépites de l’été 2021 (1) Le Nord du monde de Nathalie YOT

L’été c’est aussi l’occasion de lire quelques bijoux offerts par plus éclairé que soi… De découvrir des voix apparues le temps d’une rentrée littéraire. 

C’est le cas de Nathalie Yot. Artiste pluridisciplinaire, très reconnue dans le champs de la poésie, cette performeuse, collabore à plusieurs revues et a déjà publié plusieurs recueils. 

Le Nord du monde, son premier roman, publié aux éditions La Contre Allée, paru à La rentrée 2018, se le lit comme on court… à perdre haleine. 

Une écriture hypnotisante, comme son duo électro-acoustique, Natyocassan, et notamment Le ciment

C’est important parce qu’on comprend que l’écriture fait corps et voix. 

Le Nord du monde, c’est le roman errant d’une itinérance. Celle d’une femme abandonnée pour qui le désir devient pas. Elle marche.

Fragilisée par une séparation amoureuse, la narratrice et personnage principal fuit un homme, son homme-chien, pour ne plus sentir la douleur, elle marche encore. 

Le plus loin possible vers le Nord, Lille, l’Allemagne, les Pays-Bas, et au bout, les fjords de Norvège.

Elle lutte contre les éléments, le froid, la fatigue, la douleur, la faim, pour se sentir plus vivante.

« L’air on le prend, on le prend bien. Quand il y a beaucoup de vent, on se laisse ébouriffer, chahuter, ça nous est égal au contraire, on se dit que la puissance du vent nous aide pour combattre l’histoire de ne plus vouloir vivre.»

Les hommes, aussi, ça serre et ça sert… à se sentir vivante! Alors, elle enchaîne les rencontres et les pays. Jusqu’à la transgression ultime, doublée de l’amour définitif, enfin rencontré.

Mais qu’on ne racontera pas!

C’est un roman qui gratte, qui dit des choses qu’on ne veut pas entendre, qui pousse à la faute. Qui met en péril, sur le fil ténu de la moralité. Bien sûr qu’il dérange… Surtout ce que nous avions eu bien du mal à bien ranger. 

C’est un roman qui vacille, comme cette partie de notre humanité sans limite.

C’est un roman qui flirte avec thanatos parce que parfois c’est le seul moyen d’être certain qu’on est vivant, de se pincer moralement.

Nathalie Yot ne cède rien à la douceur. Comme un scalpel, ou les glaçons de l’hiver, elle nous réveille rudement. 

Magnifique !!

Le Nord du monde, Nathalie Yot, La Contre Allée

Catégories
Littérature française

L’épopée mélancolique, d’Haydée Santamaria, pasionaria cubaine.

Les révolutionnaires ne sont pas des poètes mais des soldats ? Pas si sûr ! Il faut avoir une sacrée foi en un idéal, en l’impossible, pour devenir guérillera, se battre contre l’injustice, la pauvreté et l’analphabétisme à Cuba au milieu du XXe siècle. Une bonne dose de courage, de renoncement et d’oubli de soi aussi…

Cette solide conscience politique amènera la toute jeune Haydée Santamaria à tenir le fusil, contre l’armée du putschiste Batista.

Une conscience politique pleine d’inconscience

C’est cela que raconte avec justesse et onirisme, le roman d’Amina Damerdji, la genèse d’un engagement politique. Ce moment où l’idéal devient certitude… Où le doute n’a plus sa place… Où on ne sait pas vraiment où on va!

Confrontée très tôt à la dureté de la vie des paysans, cueilleurs de cannes-à-sucre, dans la région où elle a grandi, l’Encrucijada, Haydée Santamaria sent qu’elle ne pourra se satisfaire de la vie banale que lui propose sa mère : bon mariage, enfants, résignation.

« Ce que je préférais, c’était la littérature et la littérature comme le sifflait ma mère, c’était tout à fait inoffensif », lui fait dire, non sans humour, l’autrice. La littérature aura été certainement le ferment le plus solide de l’engagement de cette autodidacte .

La jeune idéaliste, choisit de rejoindre le mouvement des jeunes marxistes, bientôt fédéré autour de Fidel Castro, alors jeune avocat, à La Havane, jusqu’à devenir une héroïne, une « mère » de la révolution cubaine.

 

Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça.

« Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr, nous voulions du changement. Mais nous n’avions qu’une silhouette vague dans la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C’est seulement après, bien après, que pour moi en tout cas, la silhouette s’est précisée. »

Comme un chant déçu, la mélopée d’une femme mûre

C’est le roman épique d’une jeunesse sans pareil, que propose Amina Damerdji, [interview en ligne] , bien loin d’une imagerie hagiographique. Oscillant entre l’illusion et la désillusion de son héroïne, , montre l’ambivalent chemin des révolutions, comme celui des grandes avancées démocratiques, ni tout blanc ni tout noir, mais le plus souvent teinté d’un gris tragique et amer.

Le récit démarre le 28 juillet 1980, à La Havane, la nuit précédant son suicide, Haydée Santamaria, 57 ans, déroule ses premières années militantes, dans une mélopée mélancolique. Seule, en proie à une profonde tristesse, elle lègue l’histoire de son engagement, à ces Cubains qui tentent de fuir le régime castriste par la mer, ces naufragés de la révolution au soleil, pour qui le régime est devenu une dictature : « 1980 est l’année de l’exode de Mariel qui commence avec ces 10 000 Cubains qui demandent l’asile à l’ambassade du Pérou… », éclaire l’autrice, que nous avons interviewé au cœur de l’été.

Entre le 5 avril et le 31 octobre 1980, 125 000 Cubains sont expulsés, considérés comme contrerévolutionnaires. « Je me suis toujours dit que pour elle, cela avait dû être terrible… Avoir passé sa vie à construire un Etat que les gens se sont mis à fuir … Cela ne doit pas être étranger à son suicide. », confie encore ’écrivaine. 

¡Hasta la victoria siempre!

A ceux-là qui partent, abandonnant l’île pour un monde qu’ils pensent meilleur, Haydée Santamaria rappelle le combat de sa jeunesse et la perte tragique d’être chers, torturés et tués par l’armée de Batista. Morts pour leurs idées.

« Mais tout cela, vous qui partez, vous qui ramez dans la nuit, vous a été enseigné à l’école…» leur psalmodie-t-elle.

Ce que ne dit pas le livre, c’est qu’Haydée Santamaria tombera dans les oubliettes de l’histoire de Cuba, ignorée voire reniée par ses compagnons d’armes. Il ne dit pas non plus, que Castro ne lui rendra pas hommage, le suicide étant jugé contrerévolutionnaire par les marxistes.

Amina Damerdji, rend justice ici à cette combattante courageuse et engagée, à toutes ces femmes qui n’ont pas eu peur de crier un jour « ¡No pasaran ! », comme la basque Dolorès Ibarurri ou bien « ¡Hasta la victoria siempre !» comme tant d’autres à Cuba. Mais qui se souvient d’elles ? Qu’elle en soit donc remerciée… Souvent ramenée à des rôles secondaires dans ces mouvement militaro-machistes, certaines ont pourtant bravé les tabous troquant la louche contre le fusil. Ainsi vécut Haydée Santamaria.

Un roman épique révolutionnaire

Amina Damerdji, [interview en ligne], jeune femme d’origine algérienne, spécialiste de la poésie cubaine et venue de la performance poétique, a baigné dans la littérature hispanique et latino-américaine et son roman est tissé dans ce savoir-faire particulier.

Le choix du genre, par exemple, le roman épique et révolutionnaire, à la Fuentes ou Vargas LLosa, mais aussi le sens d’un tragique coutumier, où mort et vie se côtoient comme deux amies, qui nous ramène à l’hispanique Garcia Lorca ou la sensualité gourmande du brésilien Jorge Amado, « Certains dimanches, j’avais faim et je petit-déjeunais au lit. J’emportais sur un plateau, la cafetière, un morceau de pain, un bout de beurre et du miel. Les sablés de goyave, je les réservais toujours pour le début de l’émission. Dès que j’entendais la musique d’annonce, je croquais à pleine dents dans le biscuit rond et laissais couler la confiture entre mes dents. »

Pourtant, pour échapper à l’histoire officielle, Amina Damerdji, a su conserver sa liberté de romancière et de poète, en écoutant le cri intérieur d’Haydée Santamaria, l’accompagnant dans ses dernières heures , enivrée de vodka, cadeau des alliés russes, peu aimés, et le récit fait écho à la fin tragique de certaines actrices hollywoodiennes, seule et désespérée.

La tessiture littéraire de « Laissez-moi vous rejoindre » nous ayant autant convaincue que le récit, on attend le deuxième roman avec attention.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

Catégories
Littérature française

« Je voulais raconter quelque chose du sacrifice politique, de l’idéalisme, et de la désillusion »

Cet été, Amina Damerdji, primo-romancière, a bien voulu nous éclairer sur son travail pour faire revivre Haydée Santamaria, pasionaria cubaine, héroïne de son livre, « Laissez-moi vous rejoindre », publié chez Gallimard. Tout a commencé à Cuba, où elle a résidé quelques mois, pour faire du terrain pour sa thèse sur la poésie cubaine.

Comment est né l’idée de ce roman biographique ?

J’ai vécu à Cuba plusieurs mois… Ce qui est très particulier, pour nous, en arrivant, c’est qu’il n’y a pas de publicités sur les murs mais des affiches, des portraits des grands hommes de la révolution : Fidel, Camilo Cienfuegos, Raul, le frère de Fidel, tous représentés de manière virile, avec leur barbe. Alors, lorsque j’ai entendu parler d’Haydée Santamaria, elle a tout de suite attiré ma curiosité parce que c’est une femme. Souvent on parlait des femmes de la révolution comme femme de… Celle de Fidel qui s’était occupée du programme, celle de Raul en charge du droit des femmes. Pourtant Haydée jouissait d’une vraie notoriété et reconnaissance, en tant que femme d’état sur l’île !  Je travaillais beaucoup à la Casa de Las Americas qui est une véritable institution culturelle à La Havane, une bâtisse blanche, très jolie qui se détache dans le paysage de la ville, située sur le Malecon, (la promenade de front de mer) et où il y a un fond de bibliothèque plus important qu’ailleurs. En discutant avec les gens présents, un peu au gré des coupures d’électricité, j’ai appris que c’est elle, totale autodidacte, qui avait créé ce lieu culturel. Elle y a fait venir de grands écrivains sud-américains, Garcia Marquez, Cortazar et des Français aussi Sartre et Beauvoir…

Il y a une sensualité très forte et notamment gourmande dans votre récit , qui vous inscrivit dans la lignée des auteurs sud-américains comme Jorge Amado, pour ne citer que lui, qui émaillait ses romans de plats locaux ?

Oui la dimension sensuelle m’a clairement intéressée. D’abord parce que cela fait partie d’un patrimoine littéraire effectivement. Il y a des choses que j’ai aimé dans la littérature cubaine ou sud-américaine que j’avais envie de retrouver par l’écriture, des ambiances (la chaleur, la moiteur, des saveurs, des sons) mais aussi parce que je ne voulais pas faire une hagiographie politique mais m’intéresser à cette femme dans sa chair.

Et le choix de cette double temporalité, sa jeunesse et la genèse de son engagement, jusqu’à la défaite de la Moncada, et les quelques heures avant son suicide  presque 40 ans plus tard?

J’ai été marqué par le livre d’un auteur cubain, Leonardo Padura, « L’homme qui aimait les chiens » et qui raconte la vie de Ramon Mercader, l’assassin de Trotski, exilé à Cuba. Il peint notamment cette forme très sacrificielle d’engagement, in fine assez déshumanisante. En développant la vision de la jeune Haydée et en contrepoint celle de l’Haydée plus mûre (57 ans) qui s’adresse à ces personnes qui fuient Cuba, je voulais mettre en regard deux moments de bascule de la vie de cette femme et raconter quelque chose du sacrifice politique et de l’idéalisme, de la désillusion. 

Moi j’ai lu entre vos lignes un romantisme de la révolution…mais pas bêta !

Pour moi Haydée, au moment de son suicide, est justement cette femme qui a commencé sa vie, remplie d’idéaux romantiques, en quête de liberté pour transformer cette société cubaine. Forte de ses croyances puissantes, elle est emblématique d’autres jeunesses politiques, d’un type d’engagement qui s’est transformé aujourd’hui, n’emprunte plus les mêmes voies d’action.

Le fait qu’elle adresse son récit à ceux qui fuient,n’est-ce pas une façon de sortir du fantasme de la justice et justesse révolutionnaire?

Oui tout à fait pour moi, il y a vraiment l’élan de départ et la suite quelques années plus tard. Et d’ailleurs cela continue…

Tous ce groupe d’amis et frères d’armes, que vous décrivez, sont très vivants, comment avez-vous fait vos recherches ?

Je me suis documentée dans des livres d’histoire, sur place, à Cuba, puis de retour en Europe. J’ai aussi travaillé sur des archives numérisées, des documentaires et des captations trouvées sur internet.

Et vous avez pu recueillir des témoignages ?

J’ai aussi pu discuter avec plusieurs personnes qui l’avaient connue et beaucoup aimée en général.

Vous pouvez nous parler de ces poètes, sujets de votre thèse ?

Elle a porté sur un groupe de poètes qui sont passés de l’engagement officiel à la critique, et qui ont, pour la plupart, subi des mesures punitives, comme Luis Rogelio Nogueras, l’un des plus célèbres sur l’île, ou qui se sont exilés comme Raúl Rivero, le poète du groupe le plus connu à l’étranger, ou le romancier Jesús Díaz.

C’est donc votre premier roman, vous y pensiez depuis longtemps ?

L’idée a germé lors de mon dernier séjour à Cuba, en 2015. À ce moment-là, j’écrivais de la poésie. J’ai co-fondé une revue en 2011, qui s’appelle La Seiche, publié Tambour Machine en 2015 chez Plaine-Page et participé à plusieurs festivals de poésie orale. Je m’intéressais beaucoup à la poésie-action et à la performance. Quand j’ai commencé à m’intéresser à Haydée Santamaría à Cuba, je n’avais pas au départ le projet d’écrire un roman sur elle mais plus je me documentais et essayais de l’atteindre, plus elle s’éloignait de moi. La répétition des mêmes anecdotes, avec les mêmes mots, créait un voile de glace et finissait par figer le personnage au lieu de le rendre vivant. J’ai voulu, par la fiction, redonner vie à cette femme. Et à travers elle, raconter une histoire, celle d’un pays, d’un type d’engagement, mais aussi, celle de beaucoup d’autres femmes, d’un type de féminité assez peu représenté par la littérature..

Comment passe-t-on de la poésie au roman?

Au départ, le premier manuscrit écrit assez spontanément, était encore très poétique (cinq longues lettres qui ressemblaient plus à cinq longs poèmes en prose qu’à un récit romanesque !).Je l’avais envoyé à plusieurs maisons d’édition et reçu, au milieu de lettres type de refus, deux lettres plutôt encourageantes, avec des conseils de réécriture dont une des éditions Christian Bourgois. Mais ces conseils sont restés malgré tout un peu obscurs pour moi et puis ensuite, j’ai dû m’adonner à l’écriture de ma thèse et mettre de côté le projet. C’est un atelier Gallimard avec l’écrivain Hédi Kaddour, romancier venu également de la poésie, qui a agi comme un déclic pour moi. J’ai plongé dans un autre univers d’écriture, l’écriture romanesque avec ses personnages, sa sensorialité, sa narrativité, et ai commencé à me passionner pour cela. J’ai tout réécrit, de A à Z, et complètement différemment.

Et vous votre histoire Amina Damerdji ?

Je suis née aux États-Unis et j’ai ensuite grandi à Alger jusqu’en 1994. Ma famille et moi avons quitté l’Algérie pendant la Décennie noire (la guerre civile algérienne) d’abord pour la Bourgogne, où nous avons rejoint ma grand-mère qui en est originaire et s’était exilée avant nous, puis à Paris où j’ai fait le reste de ma scolarité et mes études. J’ai aussi vécu deux ans en Espagne, à Madrid.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

Catégories
Littérature française

La délicieuse cérémonie « De thé et d’amour  » d’Hubert Delahaye

Une invitation au voyage qui ouvre grand les portes de l’imaginaire. Aujourd’hui plus qu’hier, sans doute à cause des confinements répétés, je plébiscite toute littérature itinérante. Un grand, grand, genre littéraire… Depuis l’Odyssée en passant par le Journal de voyage de Montaigne ou bien celui en Indes de Flaubert, jusqu’à Kerouac et sa Route, les écrivains voyageurs embarquent, fascinent, ensorcellent leurs lecteurs.

Mais aujourd’hui, empêchés de voyager, nous ressemblons, plus que nous le pensions, aux des lecteurs de Mérimée découvrant la Corse. Mélange d’exotisme et de spiritualité à taille humaine, ce joli roman nous embarque au Japon et donc en terre inconnue pour la plupart. Bien loin d’être un guide touristique, nous le refermerons, sous le charme de ces « impressions » en ayant l’impression d’avoir progressé un peu plus dans notre géographie intime.

De la joie de voyager entre les pages

« De thé et d’amour », est surtout un roman initiatique et très courtois qui explore l’amour. L’histoire est simple presque banale: un occidental, vraisemblablement diplomate, s’initie à l’art du thé à Kyoto mais surtout à une silencieuse parade amoureuse.

Tout tient dans l’économie de cette relation.  Comme dans la gestuelle lente de l’art du thé.  Tout tient dans l’épure stylistique ! Un récit hiératique au rythme hypnotisant.

Un amour en explosion de silences

Nous sommes convoqués à méditer sur l’éclosion de cette passion immobile et feutrée comme un rituel. Le temps s’arrête, les bruits se taisent. Et tout prend en force.

Le protagoniste tombe sous le charme de « cheveux châtain foncé relevés en chignon (qui) révèlent un peu plus de sa nuque, endroit de l’anatomie qui correspond dans le langage de coquetterie à ce que peut être ailleurs un décolleté ».  À petit pas minuscules, empêchée par « ses géta à bride rouge et vernies », mademoiselle Shimizu, guide son fol amoureux sur le chemin de la déraison. Et sur les routes de la grande évasion.

Vous voyez, il y a toutes les raisons d’emmener ce merveilleux petit livre d’amour sur votre lieu de villégiature. Bien installé dans un transat, il vous emportera à des milliers de kilomètres de vous-même.      

Catégories
Littérature française

« Nos espérances » ou l’histoire d’une génération désenchantée

Trois amies, trois histoires de femmes qui pourraient être celles de nos meilleures amies si nous avions quarante ans. Liss, Annah et Cate sont trois londoniennes emportées par le vent et le tourbillon de leur vie mais très lestées par les premiers bilans. Ce moment où un léger mouvement de tête vers l’arrière nous invite à se poser.  Plus tout à fait jeunes mais assurément pas vieilles, leurs premiers choix ont clairement passés le cap des options. « Nos espérances » est le roman de nos petites ou grandes trahisons de jeunesse. Choisir c’est trahir ? Un peu quand même… en tout cas ses propres illusions et souvent le moteur de sa jeunesse. 

L’amitié, un rempart complexe contre l’adversité

Anna Hope, l’autrice, opère un va et vient entre les balbutiements de leur affection en 1995, les silences et bégaiements des années suivantes jusqu’en 2018. Sans suivre pourtant de chronologie, le roman ressemble plutôt à une analepse, un va et vient entre hier et aujourd’hui. Comme des retrouvailles quand on s’est perdu de vue et qu’il manque des bouts d’histoire de l’une ou l’autre. Tous ces petits bouts finissent par prendre forme.  Vingt-trois ans d’amitié ce n’est pas rien et comme dans un couple, il y a des hauts et des bas sauf que, cette fois, la partie se joue à trois et que l’une d’entre-elles servira toujours de traits d’union aux deux autres. Pourquoi Liss, Cate et Hannah ont-elles préservé une telle amitié ? Sans doute parce qu’elle aura été leur bouée de survie toutes ses année où ce n’est pas si simple d’être jeune. Elle subsiste comme une trace de leur innocence, de leur croyance solide dans tous les possibles et est devenue la gardienne de cette lumière triomphante de leurs premières années. Qui la lâcherait ?

Une histoire de sororité sans dogmatisme

La force de ce roman est d’avoir installé ce thème universel dans notre époque. Peut-être est-il encore plus difficile d’être jeune aujourd’hui ? Ces trois femmes se débattent dans une époque « no future » où il est bien difficile de cultiver ses espérances, quand on appartient à cette « génération désenchantée », comme le chante Mylène Farmer. Elles se fraient donc, avec courage, une voie dans les nouveaux questionnements de ce XXIe siècle. Faire partie du monde ou juste agir dans sa vie ? Construire une famille sans illusions ou bien apprendre à vivre avec son désir non réalisé d’enfant ? Accepter que le mot réussite ne s’accorde pas au pluriel, surtout si on veut répondre aux injonctions de performance ? Vivre avec ses déceptions et ses manques ou écrire sa propre vie ?

Anna Hope réussit à rendre son lecteur captif de cet enchevêtrement de dilemmes contemporains, comme elle avait su le faire avec son magnifique « Salle de bal ». C’est une observatrice de l’intérieur, de l’intime. 

L’influence d’Alison Lurie et Doris Lessing ?

On retrouve en la lisant un plaisir connu avec Alison Lurie ou Doris Lessing. Elle dessine les contours d’une histoire des femmes d’aujourd’hui, de sororité aurait-on dit, il y a quelques temps, sans avoir peur de ce joli mot. D’ailleurs le titre en Français, choisi par son éditeur, ne s’en cache pas trop. Il y a dans ce « Nos » un peu de chacune d’entre nous. Sur les traces de ses deux illustres aînées, on se sent prête à suivre Anna Hope à toutes les pages. Je ne saurai trop vous conseiller d’emporter ce livre dans votre valise déconfinée. Jeanne Thiriet

« Nos espérances », Anna Hope, Gallimard

Catégories
Littérature française

Inspiration ou transpiration ?

Miroir de nos peines, Pierre Lemaître, Albin-Michel

Pierre Lemaître l’avait promis, sa trilogie Les enfants du désastre puissamment entamée avec Au-revoir là-haut, Goncourt 2013, se termine avec ce troisième opus Miroir de nos peines.

Fidèle à l’ambition de son auteur de s’inscrire dans la tradition des grands feuilletons du XIXe siècle, l’épopée se conclue avec la Seconde Guerre mondiale, de la Drôle de guerre à la Débâcle.  On y suit, Louise, tout petit bout de chou croisé dans Au-revoir là-haut, devenue une jeune-femme mélancolique, aux aventures rocambolesques, en compagnie du bien rondouillard monsieur Jules, bistrotier faisant office de substitur paternel. Comme précédemment, Lemaître construit avec dextérité une famille d’aventuriers qui, plus que l’intrigue, vous collent aux doigts qui tournent les pages -et oui, je lis à l’ancienne, sur du bon papier blanc, qui sent l’encre et le bel ouvrage. Au milieu de tous ces premiers sujets, ma préférence ira à Désiré, imposteur surdoué, qui au fil du récit passe de profession en profession avec maestria et mensonge éhonté, Lemaître se révélant aussi bon dans la comédie que la tragédie, vous allez bien vous marrer. Voilà pourquoi, on ne raconte pas l’intrigue de ce troisième volet, parce que ce n’est pas le problème. Comme les séries de plateforme, les personnages font tout le boulot dans cette histoire et ils le font bien. Si cette lecture est tout à fait passionnante, on n’y retrouve pas non plus le souffle du premier opus dont la scène d’ouverture était du grand art. Ayant eu du mal avec le second, je ne dirai pas que c’est mauvais mais pas très bon non plus. Il y a une petite mécanique d’écriture qui commence à transpirer un peu. Si je me permets cet avertissement, c’est que la saga est certainement l’évènement blockbuster de la rentrée et que ce livre n’a pas besoin de moi pour trouver ses lecteurs addictifs.  J’en suis ravie pour eux et Pierre Lemaître, car écrire ou lire n’a jamais tué personne. Quant à la critique, elle est parfois difficile et comme le dit l’auteur dans Livre Hebdo : « Ecrire c’est moins de l’inspiration que de la transpiration » , ce récit sent un peu la transpiration quand même. Jeanne Thiriet

Catégories
Littérature française

Sagrada Familia et Pater Monster

Hors d’ici, Florence Delaporte, Le Cherche-Midi.

Qu’il est difficile de s’extraire de sa famille même quand elle ne vous donne rien… C’est toute l’histoire de Jeanne, une toute jeune-femme de 20 ans qui va devoir choisir entre rester en France ou vivre aux Etats-Unis, la famille ou le mariage, les études ou la figuration conjugale… Difficile de savoir qui on est quand on a eu, comme seule figure paternelle, une brute dotée d’une voix qui fait peur. Un père écrasant, violent, aux humeurs incontrôlables,  portées comme une blessure de guerre. Une mère qui ne dit rien, ne voit rien et consent, en ajoutant « Mais votre père vous aime » … Alors Jeanne hurle de l’intérieur, se défend envers et contre tous, agie par une unique envie : partir, se tirer, foutre le camp, avant que le temps ne l’engloutisse. Héroïque Jeanne qui passe au travers du déni familial, du mensonge paternel, des regrets maternels… Florence Delaporte suit mot à mot sa petite rebelle, dans une langue qui lui ressemble : forte et directe, fière et pudique. Ce roman intimiste remarquable de la rentrée 2020, est aussi une chronique de la vie à Rouen, dans les années 70 peut-être, ce n’est pas précisé. Jeanne, jeune héroïne du XXe siècle, y incarne à elle seule le combat contre le patriarcat, la violence sourde, subtile, perverse, tapie au sein de la famille bourgeoise, celle qui empêche de grandir.   Au travers elle, ce sont aussi les balbutiements du féminisme qui traversent ce roman, une prise de conscience solitaire avant même d’être un combat solidaire.

Bio express
Naissance : Rouen, 1959
Profession : traductrice et écrivaine.

Etudes :
États-Unis (l’Université de Wayne State, 1979-1980)

Allemagne (l’Université de Fribourg-en-Brisgau, 1980-1981) 

France (master lettres modernes, l’Université de Poitiers, 1990-1991).

Premiers livres : « Sœur Sourire. Brûlée aux feux de la rampe », en 1996. 

« Je n’ai pas de château », son premier roman, obtient le Prix Wepler 1998.