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Pépites de l’été 2021 (1) Le Nord du monde de Nathalie YOT

L’été c’est aussi l’occasion de lire quelques bijoux offerts par plus éclairé que soi… De découvrir des voix apparues le temps d’une rentrée littéraire. 

C’est le cas de Nathalie Yot. Artiste pluridisciplinaire, très reconnue dans le champs de la poésie, cette performeuse, collabore à plusieurs revues et a déjà publié plusieurs recueils. 

Le Nord du monde, son premier roman, publié aux éditions La Contre Allée, paru à La rentrée 2018, se le lit comme on court… à perdre haleine. 

Une écriture hypnotisante, comme son duo électro-acoustique, Natyocassan, et notamment Le ciment

C’est important parce qu’on comprend que l’écriture fait corps et voix. 

Le Nord du monde, c’est le roman errant d’une itinérance. Celle d’une femme abandonnée pour qui le désir devient pas. Elle marche.

Fragilisée par une séparation amoureuse, la narratrice et personnage principal fuit un homme, son homme-chien, pour ne plus sentir la douleur, elle marche encore. 

Le plus loin possible vers le Nord, Lille, l’Allemagne, les Pays-Bas, et au bout, les fjords de Norvège.

Elle lutte contre les éléments, le froid, la fatigue, la douleur, la faim, pour se sentir plus vivante.

« L’air on le prend, on le prend bien. Quand il y a beaucoup de vent, on se laisse ébouriffer, chahuter, ça nous est égal au contraire, on se dit que la puissance du vent nous aide pour combattre l’histoire de ne plus vouloir vivre.»

Les hommes, aussi, ça serre et ça sert… à se sentir vivante! Alors, elle enchaîne les rencontres et les pays. Jusqu’à la transgression ultime, doublée de l’amour définitif, enfin rencontré.

Mais qu’on ne racontera pas!

C’est un roman qui gratte, qui dit des choses qu’on ne veut pas entendre, qui pousse à la faute. Qui met en péril, sur le fil ténu de la moralité. Bien sûr qu’il dérange… Surtout ce que nous avions eu bien du mal à bien ranger. 

C’est un roman qui vacille, comme cette partie de notre humanité sans limite.

C’est un roman qui flirte avec thanatos parce que parfois c’est le seul moyen d’être certain qu’on est vivant, de se pincer moralement.

Nathalie Yot ne cède rien à la douceur. Comme un scalpel, ou les glaçons de l’hiver, elle nous réveille rudement. 

Magnifique !!

Le Nord du monde, Nathalie Yot, La Contre Allée

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L’épopée mélancolique, d’Haydée Santamaria, pasionaria cubaine.

Les révolutionnaires ne sont pas des poètes mais des soldats ? Pas si sûr ! Il faut avoir une sacrée foi en un idéal, en l’impossible, pour devenir guérillera, se battre contre l’injustice, la pauvreté et l’analphabétisme à Cuba au milieu du XXe siècle. Une bonne dose de courage, de renoncement et d’oubli de soi aussi…

Cette solide conscience politique amènera la toute jeune Haydée Santamaria à tenir le fusil, contre l’armée du putschiste Batista.

Une conscience politique pleine d’inconscience

C’est cela que raconte avec justesse et onirisme, le roman d’Amina Damerdji, la genèse d’un engagement politique. Ce moment où l’idéal devient certitude… Où le doute n’a plus sa place… Où on ne sait pas vraiment où on va!

Confrontée très tôt à la dureté de la vie des paysans, cueilleurs de cannes-à-sucre, dans la région où elle a grandi, l’Encrucijada, Haydée Santamaria sent qu’elle ne pourra se satisfaire de la vie banale que lui propose sa mère : bon mariage, enfants, résignation.

« Ce que je préférais, c’était la littérature et la littérature comme le sifflait ma mère, c’était tout à fait inoffensif », lui fait dire, non sans humour, l’autrice. La littérature aura été certainement le ferment le plus solide de l’engagement de cette autodidacte .

La jeune idéaliste, choisit de rejoindre le mouvement des jeunes marxistes, bientôt fédéré autour de Fidel Castro, alors jeune avocat, à La Havane, jusqu’à devenir une héroïne, une « mère » de la révolution cubaine.

 

Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça.

« Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr, nous voulions du changement. Mais nous n’avions qu’une silhouette vague dans la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C’est seulement après, bien après, que pour moi en tout cas, la silhouette s’est précisée. »

Comme un chant déçu, la mélopée d’une femme mûre

C’est le roman épique d’une jeunesse sans pareil, que propose Amina Damerdji, [interview en ligne] , bien loin d’une imagerie hagiographique. Oscillant entre l’illusion et la désillusion de son héroïne, , montre l’ambivalent chemin des révolutions, comme celui des grandes avancées démocratiques, ni tout blanc ni tout noir, mais le plus souvent teinté d’un gris tragique et amer.

Le récit démarre le 28 juillet 1980, à La Havane, la nuit précédant son suicide, Haydée Santamaria, 57 ans, déroule ses premières années militantes, dans une mélopée mélancolique. Seule, en proie à une profonde tristesse, elle lègue l’histoire de son engagement, à ces Cubains qui tentent de fuir le régime castriste par la mer, ces naufragés de la révolution au soleil, pour qui le régime est devenu une dictature : « 1980 est l’année de l’exode de Mariel qui commence avec ces 10 000 Cubains qui demandent l’asile à l’ambassade du Pérou… », éclaire l’autrice, que nous avons interviewé au cœur de l’été.

Entre le 5 avril et le 31 octobre 1980, 125 000 Cubains sont expulsés, considérés comme contrerévolutionnaires. « Je me suis toujours dit que pour elle, cela avait dû être terrible… Avoir passé sa vie à construire un Etat que les gens se sont mis à fuir … Cela ne doit pas être étranger à son suicide. », confie encore ’écrivaine. 

¡Hasta la victoria siempre!

A ceux-là qui partent, abandonnant l’île pour un monde qu’ils pensent meilleur, Haydée Santamaria rappelle le combat de sa jeunesse et la perte tragique d’être chers, torturés et tués par l’armée de Batista. Morts pour leurs idées.

« Mais tout cela, vous qui partez, vous qui ramez dans la nuit, vous a été enseigné à l’école…» leur psalmodie-t-elle.

Ce que ne dit pas le livre, c’est qu’Haydée Santamaria tombera dans les oubliettes de l’histoire de Cuba, ignorée voire reniée par ses compagnons d’armes. Il ne dit pas non plus, que Castro ne lui rendra pas hommage, le suicide étant jugé contrerévolutionnaire par les marxistes.

Amina Damerdji, rend justice ici à cette combattante courageuse et engagée, à toutes ces femmes qui n’ont pas eu peur de crier un jour « ¡No pasaran ! », comme la basque Dolorès Ibarurri ou bien « ¡Hasta la victoria siempre !» comme tant d’autres à Cuba. Mais qui se souvient d’elles ? Qu’elle en soit donc remerciée… Souvent ramenée à des rôles secondaires dans ces mouvement militaro-machistes, certaines ont pourtant bravé les tabous troquant la louche contre le fusil. Ainsi vécut Haydée Santamaria.

Un roman épique révolutionnaire

Amina Damerdji, [interview en ligne], jeune femme d’origine algérienne, spécialiste de la poésie cubaine et venue de la performance poétique, a baigné dans la littérature hispanique et latino-américaine et son roman est tissé dans ce savoir-faire particulier.

Le choix du genre, par exemple, le roman épique et révolutionnaire, à la Fuentes ou Vargas LLosa, mais aussi le sens d’un tragique coutumier, où mort et vie se côtoient comme deux amies, qui nous ramène à l’hispanique Garcia Lorca ou la sensualité gourmande du brésilien Jorge Amado, « Certains dimanches, j’avais faim et je petit-déjeunais au lit. J’emportais sur un plateau, la cafetière, un morceau de pain, un bout de beurre et du miel. Les sablés de goyave, je les réservais toujours pour le début de l’émission. Dès que j’entendais la musique d’annonce, je croquais à pleine dents dans le biscuit rond et laissais couler la confiture entre mes dents. »

Pourtant, pour échapper à l’histoire officielle, Amina Damerdji, a su conserver sa liberté de romancière et de poète, en écoutant le cri intérieur d’Haydée Santamaria, l’accompagnant dans ses dernières heures , enivrée de vodka, cadeau des alliés russes, peu aimés, et le récit fait écho à la fin tragique de certaines actrices hollywoodiennes, seule et désespérée.

La tessiture littéraire de « Laissez-moi vous rejoindre » nous ayant autant convaincue que le récit, on attend le deuxième roman avec attention.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

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« Je voulais raconter quelque chose du sacrifice politique, de l’idéalisme, et de la désillusion »

Cet été, Amina Damerdji, primo-romancière, a bien voulu nous éclairer sur son travail pour faire revivre Haydée Santamaria, pasionaria cubaine, héroïne de son livre, « Laissez-moi vous rejoindre », publié chez Gallimard. Tout a commencé à Cuba, où elle a résidé quelques mois, pour faire du terrain pour sa thèse sur la poésie cubaine.

Comment est né l’idée de ce roman biographique ?

J’ai vécu à Cuba plusieurs mois… Ce qui est très particulier, pour nous, en arrivant, c’est qu’il n’y a pas de publicités sur les murs mais des affiches, des portraits des grands hommes de la révolution : Fidel, Camilo Cienfuegos, Raul, le frère de Fidel, tous représentés de manière virile, avec leur barbe. Alors, lorsque j’ai entendu parler d’Haydée Santamaria, elle a tout de suite attiré ma curiosité parce que c’est une femme. Souvent on parlait des femmes de la révolution comme femme de… Celle de Fidel qui s’était occupée du programme, celle de Raul en charge du droit des femmes. Pourtant Haydée jouissait d’une vraie notoriété et reconnaissance, en tant que femme d’état sur l’île !  Je travaillais beaucoup à la Casa de Las Americas qui est une véritable institution culturelle à La Havane, une bâtisse blanche, très jolie qui se détache dans le paysage de la ville, située sur le Malecon, (la promenade de front de mer) et où il y a un fond de bibliothèque plus important qu’ailleurs. En discutant avec les gens présents, un peu au gré des coupures d’électricité, j’ai appris que c’est elle, totale autodidacte, qui avait créé ce lieu culturel. Elle y a fait venir de grands écrivains sud-américains, Garcia Marquez, Cortazar et des Français aussi Sartre et Beauvoir…

Il y a une sensualité très forte et notamment gourmande dans votre récit , qui vous inscrivit dans la lignée des auteurs sud-américains comme Jorge Amado, pour ne citer que lui, qui émaillait ses romans de plats locaux ?

Oui la dimension sensuelle m’a clairement intéressée. D’abord parce que cela fait partie d’un patrimoine littéraire effectivement. Il y a des choses que j’ai aimé dans la littérature cubaine ou sud-américaine que j’avais envie de retrouver par l’écriture, des ambiances (la chaleur, la moiteur, des saveurs, des sons) mais aussi parce que je ne voulais pas faire une hagiographie politique mais m’intéresser à cette femme dans sa chair.

Et le choix de cette double temporalité, sa jeunesse et la genèse de son engagement, jusqu’à la défaite de la Moncada, et les quelques heures avant son suicide  presque 40 ans plus tard?

J’ai été marqué par le livre d’un auteur cubain, Leonardo Padura, « L’homme qui aimait les chiens » et qui raconte la vie de Ramon Mercader, l’assassin de Trotski, exilé à Cuba. Il peint notamment cette forme très sacrificielle d’engagement, in fine assez déshumanisante. En développant la vision de la jeune Haydée et en contrepoint celle de l’Haydée plus mûre (57 ans) qui s’adresse à ces personnes qui fuient Cuba, je voulais mettre en regard deux moments de bascule de la vie de cette femme et raconter quelque chose du sacrifice politique et de l’idéalisme, de la désillusion. 

Moi j’ai lu entre vos lignes un romantisme de la révolution…mais pas bêta !

Pour moi Haydée, au moment de son suicide, est justement cette femme qui a commencé sa vie, remplie d’idéaux romantiques, en quête de liberté pour transformer cette société cubaine. Forte de ses croyances puissantes, elle est emblématique d’autres jeunesses politiques, d’un type d’engagement qui s’est transformé aujourd’hui, n’emprunte plus les mêmes voies d’action.

Le fait qu’elle adresse son récit à ceux qui fuient,n’est-ce pas une façon de sortir du fantasme de la justice et justesse révolutionnaire?

Oui tout à fait pour moi, il y a vraiment l’élan de départ et la suite quelques années plus tard. Et d’ailleurs cela continue…

Tous ce groupe d’amis et frères d’armes, que vous décrivez, sont très vivants, comment avez-vous fait vos recherches ?

Je me suis documentée dans des livres d’histoire, sur place, à Cuba, puis de retour en Europe. J’ai aussi travaillé sur des archives numérisées, des documentaires et des captations trouvées sur internet.

Et vous avez pu recueillir des témoignages ?

J’ai aussi pu discuter avec plusieurs personnes qui l’avaient connue et beaucoup aimée en général.

Vous pouvez nous parler de ces poètes, sujets de votre thèse ?

Elle a porté sur un groupe de poètes qui sont passés de l’engagement officiel à la critique, et qui ont, pour la plupart, subi des mesures punitives, comme Luis Rogelio Nogueras, l’un des plus célèbres sur l’île, ou qui se sont exilés comme Raúl Rivero, le poète du groupe le plus connu à l’étranger, ou le romancier Jesús Díaz.

C’est donc votre premier roman, vous y pensiez depuis longtemps ?

L’idée a germé lors de mon dernier séjour à Cuba, en 2015. À ce moment-là, j’écrivais de la poésie. J’ai co-fondé une revue en 2011, qui s’appelle La Seiche, publié Tambour Machine en 2015 chez Plaine-Page et participé à plusieurs festivals de poésie orale. Je m’intéressais beaucoup à la poésie-action et à la performance. Quand j’ai commencé à m’intéresser à Haydée Santamaría à Cuba, je n’avais pas au départ le projet d’écrire un roman sur elle mais plus je me documentais et essayais de l’atteindre, plus elle s’éloignait de moi. La répétition des mêmes anecdotes, avec les mêmes mots, créait un voile de glace et finissait par figer le personnage au lieu de le rendre vivant. J’ai voulu, par la fiction, redonner vie à cette femme. Et à travers elle, raconter une histoire, celle d’un pays, d’un type d’engagement, mais aussi, celle de beaucoup d’autres femmes, d’un type de féminité assez peu représenté par la littérature..

Comment passe-t-on de la poésie au roman?

Au départ, le premier manuscrit écrit assez spontanément, était encore très poétique (cinq longues lettres qui ressemblaient plus à cinq longs poèmes en prose qu’à un récit romanesque !).Je l’avais envoyé à plusieurs maisons d’édition et reçu, au milieu de lettres type de refus, deux lettres plutôt encourageantes, avec des conseils de réécriture dont une des éditions Christian Bourgois. Mais ces conseils sont restés malgré tout un peu obscurs pour moi et puis ensuite, j’ai dû m’adonner à l’écriture de ma thèse et mettre de côté le projet. C’est un atelier Gallimard avec l’écrivain Hédi Kaddour, romancier venu également de la poésie, qui a agi comme un déclic pour moi. J’ai plongé dans un autre univers d’écriture, l’écriture romanesque avec ses personnages, sa sensorialité, sa narrativité, et ai commencé à me passionner pour cela. J’ai tout réécrit, de A à Z, et complètement différemment.

Et vous votre histoire Amina Damerdji ?

Je suis née aux États-Unis et j’ai ensuite grandi à Alger jusqu’en 1994. Ma famille et moi avons quitté l’Algérie pendant la Décennie noire (la guerre civile algérienne) d’abord pour la Bourgogne, où nous avons rejoint ma grand-mère qui en est originaire et s’était exilée avant nous, puis à Paris où j’ai fait le reste de ma scolarité et mes études. J’ai aussi vécu deux ans en Espagne, à Madrid.

« Laissez-moi vous rejoindre », Amina Damerdji, Gallimard

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« Que sur toi se lamente le Tigre », un premier roman majuscule !

Dans son court et intense premier roman, Emilienne Malfatto, journaliste reporter spécialiste de l’Irak, relate l’histoire impitoyable d’un féminicide dans l’Irak rural contemporain. Celui d’une toute jeune fille qui aura connu l’amour interdit puis l’horreur pour laver l’honneur de sa famille ! C’est l’impitoyable loi des hommes… gardée par les femmes ! 

« Je suis la vieille et le monde de mes enfants m’est étranger. J’ai consciencieusement appliqué à mes filles, les lois qui m’avaient été imposées. J’ai bâti autour d’elles la même prison que pour moi. J’ai justifié mon monde en le reconduisant… », psalmodie la mère en attendant la sentence.  

Ce livre édité par la maison d’édition tunisienne elyzad vient d’emporter le Goncourt du premier roman.  Son éditrice Elisabeth Daldoul en souligne l’écriture épurée et poétique. Elle a raison!

Il ne s’agit ni d’un essai, ni d’un document mais bel et bien d’un roman et de la naissance d’une écrivaine.  

Construit comme une tragédie : unité de lieu, de temps, d’action, où comme un procès dont nous serions le jury de hasard, le récit recueille la voix de chaque personnage, enfermé dans cette loi qui ordonne la mort de si jeunes vies. Chacun y berce son dilemme sournois et son accord muet. Se faisant l’écho d’une injustice sur laquelle ils n’auraient pas de poids mais qu’ils ne supportent pas. Insupportable « fatum », diraient les Latins, qui s’abat en même temps sur cette victime-accusée et sur ses bourreaux.Tous pris au piège? Accusée de quoi ? D’avoir aimé… Pris au piège par quoi ? Une loi sans âme. Tout cela n’empêche pas la mauvaise conscience.

« J’ai survécu à la guerre et ce soir je vais tuer, dit le frère et bourreau. Je vais mourir un peu en tuant. Mais mon bras ne tremblera pas. Tremblera-t-il ? » 

Sans enluminures inutiles, d’une simplicité transparente comme l’eau vive du Tigre, qui traverse l’Irak, l’écriture d’Emilienne Malfatto s’écoule en nous, sans bruit et lumineuse, au plus près de nos intimes tristesses. 

Personne n’aime la guerre. Personne ne supporte la loi assassine. Pourtant la plupart y participent.

Un premier roman majuscule !

« Que sur toi se lamente le tigre » Emilienne Malfatto (elyzad) Goncourt du premier roman.

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« Nos corps étrangers » un premier roman cellulaire sous haute-tension…

Au départ, il s’agit d’un vieux fantasme écolo: quitter Paris pour retrouver un second souffle.Au départ il s’agit d’une famille comme les autres. Il y a  Maeva , collégienne qui suit ses parents en traînant les pieds. Quitter Paris et les copines pour atterrir dans un collège de « péquenots », comment ne pas ne pas se sentir trahie ? Et puis il y a Stéphane, le père, qui pense qu’ainsi il cautérisera la cicatrice que sa relation avec une collègue de bureau a laissé dans son couple. Enfin Elisabeth, la mère, qui s’est laissée porter par l’idée de se donner une seconde chance et de se remettre à peindre.

La maison du bonheur?

La maison du « nouveau départ » s’avère rapidement être un nid à colères et ressentiments divers.La transplantation de l’animal parisien à la campagne montre des signes visibles d’échec et de rejet. Stéphane ne supporte pas les temps de transports allongés, Elisabeth se bat avec des vomissements douloureux.Seule Maeva fait son trou, grâce à Richie, un beau et grand collégien noir.  Dans son sillage sa mère se remet à sa peinture avec passion.

Corps en mouvement

Alors pourquoi ce roman est-il cellulaire ?  Parce que les personnages opèrent des déplacements microscopiques, dans un environnement qui n’est ni tout à fait pareil ni totalement différent. Comme des micro-organismes. Vont-ils se fondre dans ce nouvel environnement ?

Mère et la fille s’ouvrent et s’enracinent au fil des trimestres scolaires, inaugurant de nouvelles interactions et s’ouvrant à une biophilie retrouvée. Stéphane le père se referme.  

Du corps il en est bien question. Dans le titre et tout au long du roman. De corps bavards mais de cerveaux sourds. 

De nouvelles barbaries

On n’en dira pas plus de cette histoire qui si à plusieurs moments semblent coutumière et contemporaine, s’accélère dans la seconde partie pour nous emmener vers un final totalement inattendu. L’angoisse est au rendez-vous. L’animalus parisianus peut se transformer en barbare s’il n’y prend garde ! 

Un premier roman sous tension qui devrait faire passer ce troisième confinement pour de la gnognotte.

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« Ce qu’il faut de nuit », l’édifiant roman d’un papa solo et d’un défaut de transmission.

Elever -seul – ses deux fils, ce n’est déjà pas facile… Elever – seul- deux fils quand on est leur père, sans doute un peu moins. Omni absente dans le récit, la « moman » est décédée d’une longue maladie, comme on le dit pudiquement. Elle continue pourtant à être la boussole du trio. 

Cahin-caha, ils vivent bien campés sur les deux piliers qui font leur loi et leur foi. Le foot, auquel Fus, l’aîné, donne tout son être et la section PS du père qui, au fil des ans, est devenue la deuxième famille, présente et solidaire. S’il n’y a pas beaucoup d’argent et si la Lorraine, où ils vivent, semble déserte et meurtrie, à la maison, il y a de l’amour, de la passion et des valeurs. Un pacte silencieux unit Fus et son père : protéger le plus jeune, Gillou, le doué de la classe, le prometteur candidat à l’ascenseur social. 

Alors quand Fus transgresse la foi du père dans le socialisme, et de la pire façon, leur monde s’écroule. Quand on est militant, on ne joue pas avec les valeurs. Le père se raidit sous le choc, la gifle et le poids de la honte. Il met Fus en exil de son amour… « On arrivait à vivre comme cela, en sachant, tant bien que mal… La semaine Fus et moi, on était en apnée, on se parlait sans se parler. On posait les pieds là où on pouvait encore les poser. »

C’est difficile de voir son enfant grandir hors sa propre loi ! Et impossible quand il emprunte les sens interdits. 

« Ce qu’il faut de la nuit »  est d’abord un grand récit sur la paternité. Seul narrateur le père s’exprime à la première personne tout au long, nous entraînant dans un voyage intérieur mêlé de doutes et de culpabilité, entrelacs des « on fait comme on peut, quand on est parent ! ». L’amour ne préserve pas de la déception.

Ensuite ce roman virtuose s’inscrit dans la tradition de la grande littérature sociale. Celle qui ouvre vers des univers et des personnes qui n’ont rien de remarquable, à priori. Au sens contemporain, rien de fameux permettant d’être vu. Ni argent, ni pouvoir, ni twitter, ni tribune. Il n’y est pas question de réussite mais de nos savoir vivre plus simplement. De nos choix et engagements, nos fidélités et transmission. De ce que veut dire être parent et jusqu’où on peut l’être. 

L’auteur, Laurent Petitmangin, a reçu en septembre le prix littéraire Georges-Brassens ainsi que le prix Stanislas du premier roman. Bien mérité, on lui aurait souhaité le Prix Victor Hugo s’il avait existé. Pour sa façon « d’incarner » la grandeur des oubliés de la République.

Et, last but not least, c’est le premier roman d’un cadre d’Air France, grand lecteur et prolixe écrivain même si jamais publié auparavant.

La langue est âpre, solide et poétique comme un accent du Nord : « Ils étaient assis dos à la Moselle, et j’avais sous mes yeux la plus belle vue du monde. Mon regard allait des coteaux, presque dans l’obscurité, à leurs visages bien éveillés, francs, éclairés par notre lampe-tempête. J’étais content ce soir-là et tous ceux qui avaient suivi. Je profitais de cette période. Il y avait trois mois que la moman était partie. J’avais évacué la peur de ne pas y arriver, de ne pas faire face à tout ce qu’il y avait à organiser, à gérer. Tout ce que j’avais déjà entrevu depuis trois ans. C’était terrible à dire, mais c’était presque plus facile maintenant qu’il n’y avait plus l’hôpital, les soirées et les dimanches passés à attendre. Presque plus facile. »   

Un vrai remède à la morosité de ce début d’automne 2020 et au couvre-feu bonne lecture!

« Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin, La manufacturedelivres

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« Avant que je l’oublie », un premier roman qui a tout d’un grand !

Sorti en août dernier, après avoir tenu la corde dans les sélections du Goncourt et autre prix de la rentrée 2019, ce roman vient d’emporter le prix fameux du livre Inter. Et tant mieux, il caracole au top des ventes de cet été. Et pour une bonne raison : il se traverse et nous traverse. 

La mort on n’aime pas trop en parler, hein ? Pourtant comment vivre sans ces deux bornes qui font la preuve de notre existence : la naissance et la mort. Et plus certainement celle d’un proche, aussi anonyme soit-t-il. C’est le roman du désarroi de ceux qui restent, sans bien savoir comment faire avec cela.  Plus près de l’élégie que de l’éloge funèbre, Anne Pauly trace au mot à mot la perte d’un père pas si aimable et pourtant aimé. Elle parle même dans une interview récente sur France Inter d’un livre « mausolée » à la mémoire du sien.

Un père « gros déglingo »

La narratrice et donc l’autrice regarde son mort en face dans une approche toute phénoménologique, laissant à la porte de l’hôpital son imagination, pour observer le grand bouleversement d’un temps qui s’arrête alors que tout autour continue. Dans le même temps ce mort est son père qu’elle perd, comme une image qui s’évanouit, et pour ne pas l’oublier, elle le met en suspension, le temps de le reconstituer, de reconnaître sa vie au travers de petits bouts de lui collectés. Sans concessions. Sa brutalité détestable contre sa mère, son alcoolisme, ses silences rugueux, ses coups de sang inexpliqués mais aussi, toujours en contre-point, l’autre père, celui qui dévoile sa tendresse en même temps que ses obsessions de collectionneur de proverbes bouddhistes et de plumes d’oiseaux ou de maniaque du quotidien. 

A chaque page elle soulève la poussière grise de l’armure du guerrier, peu admirable, et le dévoile à la lumière d’un quotidien qui, s’il n’a rien d’héroïque, ne manque pas de vie.  Elle mène l’enquête et fait un inventaire à la Prévert avant de refermer la porte de cette vie envolée. Sans s’épargner non plus.

Peut-on aimer sa brute de père ? Oui ! Peut-on se transformer en mer de glace face à lui ? Peut-on être égoïste face à la maladie et la vieillesse ? Oui ! Surtout quand on a vu sa mère s’en prendre pleins la gueule… Peut-on lui rendre hommage ? Oui ! Parce qu’aucun de nous n’est fait d’une seule pièce et que parfois en grattant on peut trouver mieux que ce qu’il n’y parait.

Ce livre nous met face à nos morts comme une invitation à les conserver dans leur normalité dans un souvenir qui rend justice à ce qu’ils ont été. Anne Pauly invite à créer son rite singulier, son libre hommage, face à notre désarroi , dans un monde où les seuls rites mortuaires proposés sont un service payant.

Un roman vivant comme un pouls d’aujourd’hui

La langue d’Anne Pauly est franche, nette, sans fanfreluche, elle la puise dans l’honnêteté de la femme qu’elle est devenue, dans son origine sociale, celle des « nobody » comme elle dit, et dans son humour farceur venant panser la tragédie. Car on rit en lisant ce livre. Il en reste à la fin, cette poésie qui ne masque jamais la douleur d’une fille qui n’a pas manqué de père. 

Extrait : « Que ses collègues qui l’appelaient Chipo parce qu’il pétait au bureau, lui accorde leur estime et le désignent comme porte-parole quand il fallait négocier avec le chef semblait lui avoir suffi. »

Avant que je l’oublie, Anne Pauly, Verdier Chaoïd, Prix du livre Inter