Elever -seul – ses deux fils, ce n’est déjà pas facile… Elever – seul- deux fils quand on est leur père, sans doute un peu moins. Omni absente dans le récit, la « moman » est décédée d’une longue maladie, comme on le dit pudiquement. Elle continue pourtant à être la boussole du trio.
Cahin-caha, ils vivent bien campés sur les deux piliers qui font leur loi et leur foi. Le foot, auquel Fus, l’aîné, donne tout son être et la section PS du père qui, au fil des ans, est devenue la deuxième famille, présente et solidaire. S’il n’y a pas beaucoup d’argent et si la Lorraine, où ils vivent, semble déserte et meurtrie, à la maison, il y a de l’amour, de la passion et des valeurs. Un pacte silencieux unit Fus et son père : protéger le plus jeune, Gillou, le doué de la classe, le prometteur candidat à l’ascenseur social.
Alors quand Fus transgresse la foi du père dans le socialisme, et de la pire façon, leur monde s’écroule. Quand on est militant, on ne joue pas avec les valeurs. Le père se raidit sous le choc, la gifle et le poids de la honte. Il met Fus en exil de son amour… « On arrivait à vivre comme cela, en sachant, tant bien que mal… La semaine Fus et moi, on était en apnée, on se parlait sans se parler. On posait les pieds là où on pouvait encore les poser. ».
C’est difficile de voir son enfant grandir hors sa propre loi ! Et impossible quand il emprunte les sens interdits.
« Ce qu’il faut de la nuit » est d’abord un grand récit sur la paternité. Seul narrateur le père s’exprime à la première personne tout au long, nous entraînant dans un voyage intérieur mêlé de doutes et de culpabilité, entrelacs des « on fait comme on peut, quand on est parent ! ». L’amour ne préserve pas de la déception.
Ensuite ce roman virtuose s’inscrit dans la tradition de la grande littérature sociale. Celle qui ouvre vers des univers et des personnes qui n’ont rien de remarquable, à priori. Au sens contemporain, rien de fameux permettant d’être vu. Ni argent, ni pouvoir, ni twitter, ni tribune. Il n’y est pas question de réussite mais de nos savoir vivre plus simplement. De nos choix et engagements, nos fidélités et transmission. De ce que veut dire être parent et jusqu’où on peut l’être.
L’auteur, Laurent Petitmangin, a reçu en septembre le prix littéraire Georges-Brassens ainsi que le prix Stanislas du premier roman. Bien mérité, on lui aurait souhaité le Prix Victor Hugo s’il avait existé. Pour sa façon « d’incarner » la grandeur des oubliés de la République.
Et, last but not least, c’est le premier roman d’un cadre d’Air France, grand lecteur et prolixe écrivain même si jamais publié auparavant.
La langue est âpre, solide et poétique comme un accent du Nord : « Ils étaient assis dos à la Moselle, et j’avais sous mes yeux la plus belle vue du monde. Mon regard allait des coteaux, presque dans l’obscurité, à leurs visages bien éveillés, francs, éclairés par notre lampe-tempête. J’étais content ce soir-là et tous ceux qui avaient suivi. Je profitais de cette période. Il y avait trois mois que la moman était partie. J’avais évacué la peur de ne pas y arriver, de ne pas faire face à tout ce qu’il y avait à organiser, à gérer. Tout ce que j’avais déjà entrevu depuis trois ans. C’était terrible à dire, mais c’était presque plus facile maintenant qu’il n’y avait plus l’hôpital, les soirées et les dimanches passés à attendre. Presque plus facile. »
Un vrai remède à la morosité de ce début d’automne 2020 et au couvre-feu bonne lecture!
« Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin, La manufacturedelivres
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