« Qu’importe les personnes réelles derrière une oeuvre, l’essentiel était l’oeuvre elle-même. Notre époque survalorisait la figure de l’artiste, au dépend de l’oeuvre, un titre ne se vendait bien que si l’auteur était capable d’en assurer la promotion dans les médias, on préférait des auteurs toujours plus jeunes, toujours plus beaux et sûrs d’eux-mêmes, sortant si possible d’une grande école. La littérature était à l’opposé, et, si elle se présentait le plus souvent sous la figure d’un jeune homme bien coiffé et diplômé de Normale Sup, rôdé pour répondre du tac au tac à n’importe quelle question en prime time, Elsa sentait qu’elle était ailleurs. »
Carole Fives in Quelque chose à te dire
Ce livre est un remède miracle pour tout écrivain en devenir ou en peine…sèche! À glisser dans le cartable de tout primo romancier et surtout romancière si l’on en croit l’extrait ci-dessus.
Sur un mode léger et plein d’humour, Carole Fives pose et répond à des questions fondamentales sur le métier d’écrivain.e.
Un écrivain a-t-il toujours quelque chose à écrire ? Et bien non ! Une fois leur opus terminé se profile pour beaucoup un grand vide, un blanc… un lack disent les anglo-saxons. Le mot peut-être le mieux adapté, car on imagine bien le calme plat qui l’envahit à ce moment là. Même pas une vaguelette, rien… L’angoisse de la page blanche, même si elle est difficile à vivre me semble plutôt saine. Les auteur.rices qui manient le clavier comme une mitraillette à répétition m’inquiètent toujours. Pour la jeune Elsa, protagoniste de « Quelque chose à vous dire », tout peut s’arrêter là ! Rien à délivrer à son éditeur qui la soupçonne d’être devenue membre des AMIA, les auteurs en manque d’inspiration anonymes. Quelle chose d’étrange l’inspiration d’ailleurs, où se niche-t-elle? La seule chose dont soit certaine Elsa, c’est sa profonde admiration pour son aînée d’écriture, Béatrice Blandy. Au point de se faufiler dans sa vie. mais je ne veux pas spoiler.
Un écrivain est-il un imposteur ou juste un romancier ? En se glissant dans la peau de cette dernière Elsa va se perdre. Le souci c’est que l’inspiration n’est pas divine et qu’il faut bien aller la chercher quelque part. Et la solution qui s’offre à Elsa la met en danger tant la ligne entre sa sincérité et le vampirisme est mince en littérature. Quel.le écrivain.e ne s’est pas inspiré.e d’un.e autre. Que ce soit dans les livres ou dans la rue, dans sa famille ou au travail? Qui d’ailleurs ne s’est pas assis dans un café pour écouter une conversation, imaginant la vie de chacun des protagonistes, ou notant des traits physiques ou en notant des éléments de langage.
Pour Elsa au départ, il s’agit de rendre les honneurs à l’autrice disparue et qu’elle admire, ensuite… et bien c’est la vie, vous le découvrirez en le lisant. Passer de la petite malhonnêteté à la grosse escroquerie, le lack est bien mince… Vous en apprendrez beaucoup aussi, au fil des pages de ce roman, sur les outils qui existent pour confronter un faiseur . Au cas ou cela vous démangerait.
Un écrivain manipule-t-il le réel ou se fait-il manipuler par lui? That is the question… Un peu des deux sans doute, sinon où serait le roman. D’ailleurs qui manipule qui?
Enfin, ce livre est bien un roman et pas un essai. Il se dévore comme un suspense, car on sent bien le truc qui cloche dans l’accueil du veuf grand amateur d’Hitchcock… Oui mais quoi? Il y a quelque chose dans ce roman qui fait passer l’impensable pour l’évidence… « Un film doit-il être logique alors que la vie ne l’est pas ? « , disait le grand Hitch, Maître du suspense, comme lui, laissons à Elsa le bénéfice de l’innocence.
Et rendons grâce à Carole Fives, dont c’est le dixième roman, pour cette lecture extrêmement réjouissante et passionnante, loin des fracas du monde.
Quelque chose à te dire, de Carole Fives, Gallimard, sortie le 18 août.