Ceci n’est pas un roman… mais l’enquête minutieuse d’une journaliste sur un fait-divers qui encore aujourd’hui, 13 ans après, reste mystérieux. Pendant sept ans, cette grand reporter au Monde aura assemblé près de « quatre valises » de notes, confie-t-elle, dans la très belle interview que la librairie Mollat de Bordeaux lui a consacrée.
Un jour d’août 2014 alors qu’elle est de permanence au Monde, dans ce mois généralement sans actu, elle reçoit le coup de fil d’une ancienne directrice de casting, qui la convainc d’enquêter sur le meurtre d’une jeune postière, en 2008, dont est accusé à tort un jeune homme, Gérald Thomassin, d’après son interlocutrice.
Gerald Thomassin, est l’une de ces étoiles filantes du cinéma français des années 80-90.
Le jeune homme fait, à 16 ans, ses premiers pas d’acteur dans Le petit Criminel de Jacques Doillon, et emporte le César du jeune espoir en 1991. Un diamant brut, sauvage, instinctif et libre. On se prend en le regardant, encore aujourd’hui, à rêver à Antoine Doinel et ses Quatre-cents coups… On rêve alors de le voir grandir à la lumière des caméras. Mais Thomassin traîne avec lui les fantômes d’une enfance assassine, marquée par la violence. Enfant de la DASS, il en conserve des plaies ouvertes, sa prison intérieure.
Hors champs, il prend la route de la drogue, l’alcoolisme et l’insertion a minima. Sur les conseils de copains de galères, il se retrouve à 34 ans dans un village de l’Ain, pas bien loin de Bourg en Bresse, dans un village de 3009 habitants, Montréal-la-Cluse, bien nommée et donc encaissée. Thomassin s’installe dans un sous-sol à moins de deux mètres de la Poste, où un jour de semaine, en 2008, à l’heure où les enfants vont à l’école, la jeune et jolie postière Catherine Burgaud se fait assassiner de vingt-huit coups de couteaux.
Assez vite les soupçons se tourneront vers les marginaux du village et plus particulièrement Thomassin. S’il a su s’attirer la tendresse de bien des gens de cinéma, ici dans ce village c’est plutôt la méfiance qui domine. Il faut dire que le jeune homme a bien du mal à ne pas faire l’acteur, tentant d’entrer un peu trop ouvertement dans la peau de l’assassin potentiel.
Alors que rien dans le dossier ne l’accuse réellement, il va sur sa propre dénonciation se retrouver en prison. C’est à ce moment-là que Florence Aubenas le rencontre et pendant cinq ans le voit régulièrement comme d’autres témoins d’ailleurs.
Une lecture passionnée et addictive
Une enquête d’abord, que l’on suit passionnément et, je vous le promets, fera sujet de conversations, voire de disputes entre lecteurs et amis. Chacun a son point de vue sur l’assassin potentiel. Florence Aubenas jamais pourtant ne pousse dans une voie plutôt qu’une autre. Sans doute, sa parfaite impartialité, laisse-t-elle libre court à nos convictions et autre imagination. La journaliste n’énonce pourtant que les faits, rien que les faits.
En lumière un jeune acteur fauché par la gloire
Pour les plus âgés, ce livre fait mémoire d’une époque très brillante et vivace du cinéma français. De très jeunes gens éclairaient régulièrement, nos écrans noirs : Charlotte Gainsbourg, Sophie Marceau, Romane Bohringer, Valérie Kaprisky qui souvent apparaissaient fragiles, cachés derrière un César amplement mérité. Comment résister au succès, ne pas être emporté par une notoriété trop rapidement acquise ? Même si Jacques Doillon n’a jamais lâché Thomassin, ni Dominique Besnehard, son agent, rien ni personne ne l’aura empêché de plonger dans ce qu’il maîtrisait au fond le mieux : la précarité.
En contre-champs toute l’humanité éclairante des « inconnus » de la vraie vie
C’est la force et le talent de Florence Aubenas dans tous ses livres-enquêtes, prendre le temps qu’il faut pour connaître et mettre en lumière les « acteurs » de la vraie vie, ces gens normaux, ceux qu’on ne voit pas et pourtant recèlent d’une humanité singulière. Ceux qui font l’étoffe humaine des villages et des professions. Ceux que jamais un sondage ne pourra refléter. Laisser parler ce qu’on ne connait pas… La journaliste le met en pratique au travers de la voix de ceux-là qui font l’histoire. Ce ne sont pas des témoignages mais des gens tout simplement, qui vivent rient et pleurent, comme tout un chacun mais comme seuls eux-mêmes peuvent le faire.
Dans ce livre vous croiserez les copines de Catherine Burgaud, gentille bande solidaire; son père, l’ancien maire qui, inlassablement, veut trouver l’assassin pour rendre justice; l’ex-mari; le nouveau compagnon… Et puis les copains de galère, de cinéma, les amours ou les amis de Thomassin.
Une photographie d’une France mal connue voire peu reconnue
Qui sait parmi nous que ce village appartient à une vallée baptisée par ses habitants La plastique Vallée ? Où peu à peu les habitants ont délaissé leurs champs pour installer chez eux des machines à transformer le plastique et fabriquer les petits objets de Pif Gadget par exemple? Premier département français au niveau de l’industrie, on n’y connait pas le chômage… Pourtant à Montréal-la-Cluse, la toute petite poste est sans doute le dernier lien avec l’administration de Paris. Le dernier service social… Et la postière était bien gentille.
A ce jour, Thomassin est toujours porté disparu, alors qu’il se rendait à Lyon pour une confrontation judiciaire qui aurait pu l’innocenter.