Parfois 171 petites pages font faire de très grands pas. L’auteur est un marcheur, un alpiniste napolitain, pas du genre pépère-Compostelle mais plutôt randonneur de l’extrême. Mais pour tous, l’exercice est le même : regarder où on met les pieds et assurer son équilibre. Perdre la notion du temps et de la destination et s’installer dans le moment. L’esprit pérégrine souvent bien loin des pieds.
Mensonge ou vérité?
Le livre s’écrit dans ce champs et contre-champs. Au premier plan, un interrogatoire, enfin son procès-verbal, en typewriter, la typo des machines à écrire. Un dialogue entre un magistrat et le narrateur. Car en escaladant les sentiers escarpés des Dolomites, ce dernier a repéré un corps au fond d’un gouffre. Il appelle les secours et se retrouve au centre d’une enquête pour meurtre, soupçonné de l’avoir maquillé en accident. Le mort est un traître qui a balancé les membres du groupe révolutionnaire auquel ils appartenaient tous deux. Frères d’armes puis frères ennemis… Hasard ou vengeance ?
La voie ouverte aux pérégrinations philosophiques
Ce dialogue avec le jeune juge, est le théâtre d’un autre duel, plus existentiel, philosophique et politique… Jeunesse contre vieillesse, ancien contre moderne, fonctionnaire de l’état et militant révolutionnaire, une réthorique en deux temps où les deux hommes se toisent mais ouvrent la voie d’une pérégrination philosophique.
C’est sans doute cette dimension politique qui transforme ce livre en confessions d’un enfant du siècle dernier. Le narrateur-accusé prend la mesure du temps « J’ai plus de temps que vous. Non seulement celui déjà passé, mais celui d’à présent » ; de l’engagement politique : « Ces appartenances ont été interrompues, je n’ai plus été d’un lieu, ni d’une histoire personnelle. J’ai appartenu à une époque publique » ; ou bien «Nous étions coupés de nos familles à l’arrachée, en renonçant, et en la reniant aussi, à la vie domestique. Nous pratiquions une autre appartenance. » Et bien sûr, ce livre pose la question de l’indépendance de la justice.
Le livre de presque tous les impossibles
En contre-champs, le narrateur écrit à sa bien-aimée, Ammoremio, un jeune amour qu’il ne veut pas tant mêler à sa vie d’avant. Des lettres magnifiques de poésie : « J’essaie d’inventer des anagrammes. Il y en a un qui me concerne directement : séparés. Son anagramme est : espéras. »
Alors à quels impossibles touche le livre ? Celui qui empêche de nier son passé, celui qui prive de liberté ? L’impasse de la vérité ou celle de la justice ? Face à ces impossibles, il reste pourtant la possibilité de l’amour qui seul sait écrire une nouvelle histoire et préserver l’innocence.
Impossible, roman d’Erri De Luca, publié chez Gallimard